On pose souvent la question : qui est le meilleur maître de karaté de tous les temps ? C’est comme demander qui est le meilleur peintre du monde - la réponse dépend de ce que vous cherchez. Certains veulent la puissance brute, d’autres la profondeur philosophique, d’autres encore la transmission pure. Le karaté n’est pas qu’une technique, c’est une vie. Et chaque grand maître l’a vécue à sa manière.
Gichin Funakoshi : le père du karaté moderne
Si vous cherchez l’homme qui a fait sortir le karaté des îles Ryūkyū pour le faire entrer au Japon et ensuite dans le monde, c’est Gichin Funakoshi. Né en 1868 à Okinawa, il n’était pas un guerrier, mais un professeur de littérature. Il a appris le karaté comme un moyen de cultiver l’esprit, pas seulement le corps. En 1922, il a présenté le karaté à Tokyo lors d’une démonstration pour le ministère de l’Éducation. Ce jour-là, quelque chose a changé. Il a transformé une pratique secrète en un art de développement personnel.
Funakoshi a créé le style Shotokan, du nom de son dojo, Shoto, qui signifie « bruissement des pins ». Il a introduit les katas comme des formes d’expression, pas seulement des séquences de mouvements. Il a aussi remplacé les termes comme « tōde » (main de Chine) par « karaté » (main vide), pour souligner l’aspect spirituel. Son livre Karate-Do: My Way of Life reste une référence. Il n’a jamais gagné de tournoi, mais il a formé des générations de maîtres. Son héritage ? Plus de 80 % des dojos dans le monde utilisent encore des principes qu’il a codifiés.
Mas Oyama : la force incarnée
Si Funakoshi a apporté la sagesse, Mas Oyama a apporté la foudre. Né en Corée en 1923 sous le nom de Choi Yeong-eui, il a immigré au Japon où il a appris le karaté. Il a fondé le Kyokushin, un style connu pour ses combats sans protection, ses frappes à mains nues contre des bœufs, et ses 100 combats consécutifs en une seule nuit.
Oyama ne croyait pas au karaté comme exercice. Il croyait au karaté comme épreuve. Il a dit : « Le vrai karaté ne se mesure pas par les points, mais par la capacité à survivre. » Il a formé des combattants qui ont dominé les premiers tournois de full contact. Son style exigeait une condition physique extrême : des pompes à un bras, des squats avec des pierres, des entraînements sous la pluie glacée. Il a perdu une main dans un combat, et il a continué. Il est devenu une légende vivante. Les gens le voyaient comme un guerrier, mais il disait : « Je ne cherche pas à vaincre les autres. Je cherche à vaincre mon propre ego. »
Kenwa Mabuni : l’architecte du Shitō-ryū
Alors que Funakoshi simplifiait et Oyama radicalisait, Kenwa Mabuni a fait l’inverse : il a rassemblé. Né en 1889 à Okinawa, il a étudié sous deux des plus grands maîtres de son époque : Ankō Itosu et Higaonna Kanryō. Il a pris les katas du style Shuri-te et ceux du style Naha-te, et il en a créé un nouveau : le Shitō-ryū.
Le Shitō-ryū est unique parce qu’il garde plus de 50 katas, contre une dizaine dans le Shotokan. Il mélange rapidité et puissance, mouvements circulaires et frappes directes. Mabuni était un chercheur, pas un guerrier. Il a documenté chaque mouvement, chaque respiration, chaque origine historique. Il a écrit plus de 20 livres sur le karaté. Il a compris que le karaté n’était pas une seule voie, mais une bibliothèque de techniques. Aujourd’hui, le Shitō-ryū est l’un des styles les plus complets, surtout dans les pays européens où les pratiquants aiment la richesse des formes.
Chojun Miyagi : le souffle du Goju-ryū
Si vous voulez comprendre l’équilibre entre le dur et le doux, regardez Chojun Miyagi. Il a créé le Goju-ryū, qui signifie « style dur-doux ». Contrairement à Funakoshi, qui se concentrait sur les lignes droites, Miyagi a intégré les mouvements circulaires du kung fu chinois qu’il avait étudié. Il a appris du maître Higaonna, qui avait voyagé en Chine. Miyagi a ajouté des exercices de respiration, le hojo undo, et les kata Sanchin et Tensho, qui sont encore enseignés dans tous les dojos Goju-ryū.
Il a dit : « Le karaté ne doit pas être utilisé pour blesser. Il doit être utilisé pour protéger. » Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a caché des élèves juifs dans son dojo. Il a refusé de modifier ses enseignements pour les rendre plus « japonais ». Il a gardé les termes okinawaïens, les katas anciens, les rituels. Son style est plus lent, plus profond, plus méditatif. Les pratiquants de Goju-ryū développent une force interne, une endurance mentale, une présence calme. C’est le karaté des guerriers qui n’ont pas besoin de crier.
Les autres grands noms
Il y a eu d’autres maîtres, moins connus mais tout aussi importants. Ankō Asato, le professeur de Funakoshi, a transmis les katas secrets d’Okinawa. Choki Motobu, un combattant de rue légendaire, a prouvé que le karaté fonctionnait dans la rue, pas seulement dans les dojos. Shigeru Egami, élève de Funakoshi, a poussé le Shotokan vers une plus grande fluidité, en disant que « la force vient du vide, pas de la tension ».
Et puis il y a les femmes. Yuriko Sato, une des premières femmes à enseigner le karaté au Japon dans les années 1950, a ouvert la voie. Yoko Takahashi, championne du monde en 1975, a montré que le karaté n’était pas un art d’hommes. Leur contribution est souvent oubliée, mais sans elles, le karaté moderne n’existerait pas.
Qui est le meilleur ?
Il n’y a pas de réponse unique. Si vous voulez un karaté de discipline, de calme, de philosophie, alors Gichin Funakoshi est votre maître. Si vous voulez un karaté de combat, de force, de défi, alors Mas Oyama est votre modèle. Si vous voulez un karaté riche, complet, historique, alors Kenwa Mabuni est votre guide. Si vous voulez un karaté profond, respiratoire, équilibré, alors Chojun Miyagi vous parle.
Le meilleur maître n’est pas celui qui a gagné le plus de combats. C’est celui qui a changé la manière dont le monde voit le karaté. Funakoshi l’a rendu universel. Oyama l’a rendu puissant. Mabuni l’a rendu complet. Miyagi l’a rendu vivant.
Le vrai meilleur maître, c’est celui que vous choisissez d’écouter. Parce que le karaté ne se mesure pas par des titres. Il se mesure par la façon dont il change votre vie.
Pourquoi Gichin Funakoshi est-il considéré comme le fondateur du karaté moderne ?
Gichin Funakoshi est considéré comme le fondateur du karaté moderne parce qu’il a été le premier à introduire le karaté d’Okinawa au Japon continental en 1922. Il a transformé une pratique locale et secrète en un système d’enseignement structuré, accessible au grand public. Il a simplifié les katas, ajouté des principes éthiques, et a remplacé le terme « tōde » par « karaté » pour en faire un art de développement personnel, pas seulement de combat. Son influence a conduit à la création du Shotokan, le style le plus répandu dans le monde.
Mas Oyama a-t-il vraiment combattu un bœuf ?
Oui, Mas Oyama a effectivement combattu un bœuf à mains nues en 1954, dans une démonstration publique au Japon. Il a frappé le bœuf avec un seul coup de poing, le faisant tomber. Ce geste n’était pas un acte de violence, mais une démonstration de la puissance du Kyokushin. Il voulait prouver que la force du karaté venait de la discipline, de la concentration et de l’entraînement extrême, pas de la taille ou de la force physique naturelle. Ce moment est devenu mythique, mais il représente aussi la philosophie de Oyama : la volonté peut dépasser la matière.
Quelle est la différence entre Shotokan et Goju-ryū ?
Le Shotokan, fondé par Funakoshi, se concentre sur des mouvements droits, rapides et puissants, avec une posture stable et des frappes en ligne droite. Il privilégie la vitesse et la précision. Le Goju-ryū, créé par Miyagi, mélange des mouvements durs (go) et doux (ju). Il utilise des parades circulaires, des respirations profondes et des katas comme Sanchin pour développer une force interne. Le Shotokan est plus « martial », le Goju-ryū est plus « énergétique ». L’un est comme un coup de poing, l’autre comme une vague.
Pourquoi Kenwa Mabuni a-t-il créé le Shitō-ryū ?
Kenwa Mabuni a créé le Shitō-ryū parce qu’il avait étudié sous deux grands maîtres d’Okinawa : Ankō Itosu (Shuri-te) et Higaonna Kanryō (Naha-te). Il a vu que chaque style avait des forces uniques - la rapidité de l’un, la puissance de l’autre. Il a voulu créer un style complet qui ne perdrait aucune technique. Le Shitō-ryū garde plus de 50 katas, contre 20 à 25 dans les autres styles. C’est le style le plus riche en formes, idéal pour ceux qui veulent comprendre l’histoire profonde du karaté.
Le karaté traditionnel est-il encore utile aujourd’hui ?
Oui, mais pas comme un système de combat de rue. Le karaté traditionnel enseigne la discipline, la concentration, la gestion du stress et le respect. Il forme des personnes, pas des combattants. Des études montrent que les pratiquants de karaté traditionnel ont une meilleure maîtrise de soi et une réduction du stress chronique. Même dans les écoles modernes, les katas sont utilisés pour développer la coordination, la mémoire et la confiance. Le karaté traditionnel n’est pas dépassé - il est simplement différent. Il ne cherche pas à gagner des médailles, mais à construire un caractère.