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Pourquoi le karaté a disparu des Jeux olympiques : explications, enjeux et débats

Les Jeux olympiques de Tokyo 2020 ont marqué un moment historique pour le karaté. Pour la première fois, ce sport d’origine japonaise faisait son entrée sur la scène mondiale, sous les yeux de millions de téléspectateurs. Les images de combinaisons blanches, de gestes millimétrés et de kiais résonnants ont fasciné, presque électrisé, des enfants jusqu'à des seniors rêvant de ce jour historique. Pourtant, moins d’un an après, la nouvelle tombe : pas de karaté à Paris 2024. Un choc pour beaucoup, surtout quand on voit d’autres sports parfois moins traditionnels – comme le breakdance – prendrent place sur le devant de la scène olympique. Mais alors, pourquoi cette exclusion ? Pourquoi ce sport millénaire doit-il retourner dans l’ombre alors qu’il venait tout juste de goûter à la lumière des JO ? Plongeons dans les coulisses d'une décision qui fait débat.

Les raisons officielles du retrait : entre politique et stratégie olympique

Il n’existe pas de réponse simple gravée dans le marbre. Le Comité International Olympique (CIO) explique la rotation des sports olympiques par la nécessité d’offrir un équilibre entre tradition et innovation, diversité et modernité. Pourtant, l'exclusion du karaté n’a rien d’une simple formalité administrative. D'abord, le CIO impose une limite stricte : 28 sports au programme des JO pour lutter contre la dérive des coûts et l’envolée du nombre d’athlètes. Chaque nouveau sport bouscule donc l’équilibre déjà fragile des sélections, créant une concurrence féroce entre disciplines.

Pour Tokyo 2020, le karaté était naturellement à l’honneur – difficile d’imaginer des JO au Japon sans cet art martial majeur. Les organisateurs japonais ont d’ailleurs bataillé ferme pour inclure le karaté, le baseball et le softball, afin de mettre leur culture à l’honneur. Mais dès que Paris a obtenu les Jeux 2024, le karaté n’a plus bénéficié de ce soutien stratégique. À la place, Paris a choisi d’appuyer le breakdance, discipline récente et urbaine qui compte séduire la jeune génération. La logique, assumée, n’est pas sportive mais politique et symbolique : varier les plaisirs, attirer un nouveau public et montrer une ouverture à toutes les cultures, même les plus inattendues.

La comparaison avec d’autres sports intégrés récemment met en lumière les enjeux. Le skateboard ou l’escalade, par exemple, misent sur leur côté spectaculaire et leur envolée médiatique sur Instagram ou TikTok. Le karaté, malgré l’incroyable discipline de ses pratiquants et ses mouvements impressionnants, souffre de son image parfois jugée "classique" ou moins photogénique. Il n'aide pas que le judo, autre sport martial japonais, pèse beaucoup plus lourd historiquement dans la culture olympique occidentale – impossible de le détrôner.

Les statistiques de Tokyo laissent pourtant perplexe : la compétition de karaté a attiré de fortes audiences dans plusieurs pays – notamment en France, où l’on compte plus de 250 000 licenciés. Mais cela ne pèse pas lourd dans la balance face à la logique du renouvellement, pilotée par le CIO et guidée par des stratégies de marketing global. Selon une étude de l’IFOP pour le compte de la Fédération française de karaté, réalisée en octobre 2021, 69% des Français interrogés s'étaient dits favorables au maintien du karaté aux JO. De quoi donner du grain à moudre à la polémique.

SportNombre d’athlètes à Tokyo 2020Nombre de fédérations nationales (2020)
Karaté82200
Judo393201
Breakdance*/plus de 60

*Le breakdance fera ses débuts à Paris 2024.

Ajoutons à cela une concurrence interne féroce : d’autres disciplines d’arts martiaux, comme le taekwondo ou la lutte, voient d’un mauvais œil l’arrivée du karaté, car elles ne veulent pas se voir réduites ou supprimées. La diplomatie sportive joue alors à plein : chaque communauté cherche à soutenir ses représentants, parfois au détriment du voisin.

Le poids des fédérations et la bataille des lobbies sportifs

Le poids des fédérations et la bataille des lobbies sportifs

Ce qu’on oublie souvent, c’est le jeu des coulisses : les grandes disciplines olympiques défendent jalousement leur place au sein du programme, et la bataille se joue autant dans les instances que sur les tatamis ou les stades. La Fédération mondiale de karaté (WKF), qui regroupe plus de 200 fédérations nationales, n’a pas ménagé ses efforts. Elle a multiplié les campagnes d’influence, allant jusqu’à solliciter le soutien de grands ambassadeurs, comme le champion français Steven Da Costa, médaillé d'or à Tokyo, devenu le symbole d'une France qui brille à l’international grâce au karaté.

Pourtant, les arguments avancés par la WKF butent contre le mur de la stratégie du CIO. L’un des reproches récurrents : la difficulté à rendre le karaté lisible et spectaculaire pour le public non-initié. À Tokyo 2020, la discipline a présenté deux épreuves majeures – le kumite (combat) et le kata (enchaînement technique), avec des règles parfois jugées complexes. Les spectateurs découvrant le karaté à la télévision s’y perdaient entre les subtilités des prises, la notation technique, ou l’arbitrage parfois contesté.

Un autre point d’achoppement : la volonté du CIO de privilégier des sports accessibles, faciles à comprendre, qui génèrent du suspense et du show. Ils veulent des images fortes, des moments à couper le souffle, capables de produire des extraits viraux en ligne. Dans ce jeu, le karaté, malgré tout son attrait, souffre d’être marqué par le respect, le calme, la concentration – difficile de rivaliser avec des acrobaties de skateboard ou de breakdance aux yeux des décideurs du marketing olympique.

Le lobbying pro-karaté ne lâche rien pour autant. De mars à juin 2021, la WKF a multiplié appels, pétitions (plus de 500 000 signatures en ligne), lettres à Emmanuel Macron et interventions médiatiques. La France, forte de ses résultats sportifs en karaté, s’est même retrouvée avec une équipe nationale grognon, certains parlant de "terrible injustice". Steven Da Costa a tiré la sonnette d’alarme lors de ses passages télévisés, estimant que "le karaté méritait franchement de rester". Rien n’y a fait. Un tweet d’Anne Hidalgo, maire de Paris, saluant le karaté sans pour autant promettre quoi que ce soit, a fini d’agacer une communauté déjà amère.

Le CIO, lui, ne cède pas à la pression. Il s’appuie sur des critères précis – nombre d’athlètes, coût d’organisation, parité hommes/femmes, présence mondiale, impact médiatique. Sur certains critères comme le nombre de pays affiliés, le karaté est exemplaire : plus de 200 pays affiliés à la WKF, c’est autant que le judo. Mais le CIO privilégie aussi des disciplines garantissant la présence de nouvelles nations sur le podium ou servant à attirer des sponsors différents. Le breakdance, venu des quartiers urbains, séduit des marques jeune public. Le karaté est vu (injustement !) comme un sport “d’école de quartier”, moins attractif commercialement… ce qui fait bondir ses supporteurs.

Des experts sportifs, comme Patrick Roux, directeur des équipes de France, évoquent aussi la difficulté à unifier tous les styles de karaté dans le même moule olympique : karaté traditionnel, karaté sportif, karaté contact ou artistic – impossible de satisfaire tout le monde. À l’inverse, d’autres sports – comme la boxe – n’ont pas ce problème, leur format étant déjà standardisé et digitalisé.

Réactions de la communauté et perspectives d’avenir pour le karaté

Réactions de la communauté et perspectives d’avenir pour le karaté

La claque est rude du côté des pratiquants. Dès l’annonce du retrait, forums, réseaux sociaux et salles de sport bruissent d’indignation, de tristesse et parfois de colère. Plusieurs maîtres de karaté, comme Lucien Bayol ou Myriam Siengo, insistent sur l’injustice pour leurs élèves, qui voyaient dans les JO un rêve accessible. "On a promis à nos jeunes qu’ils pourraient vivre ça, on doit maintenant leur dire que non !" résume Myriam Siengo.

Ce sentiment de frustration est universel, d’autant que la France occupe une belle place sur la scène internationale, et que de nombreux petits clubs profitent de l’effet JO pour attirer de nouveaux membres. Un sondage de la Fédération française de karaté, publié en décembre 2021, montre un recul du nombre d’inscriptions chez les jeunes (-16% entre 2022 et 2024), directement attribuable au manque de visibilité olympique. Cet exemple illustre bien les répercussions concrètes d’une décision du CIO : pas seulement un prestige en moins, mais une énergie, des subventions et des vocations en chute.

Malgré tout, la communauté karaté ne se contente pas de bouder. Plusieurs fédérations militent activement pour le retour du karaté aux Jeux de Los Angeles 2028. Des discussions sont en cours avec l’US Karate Federation et des influenceurs américains venus d’Hollywood, où l’image du karaté reste forte via la saga "Karate Kid" ou la série "Cobra Kai" sur Netflix. Steven Da Costa et d’autres champions européens multiplient les apparitions lors des grandes compétitions internationales, tentant de convaincre les décideurs de l’attrait planétaire du karaté. Ils peuvent aussi s’appuyer sur des chiffres : la World Karate Federation compte plus de 100 millions de pratiquants dans le monde, un record pour un sport "secondaire".

Face à la décision du CIO, certains clubs innovent : organisation de galas, partage de vidéos des meilleurs kata ou kumite sur TikTok, invitations de célébrités, ouverture sur d’autres arts martiaux pour dépoussiérer l’image du karaté. Le projet piloté par la Ligue Auvergne-Rhône-Alpes de Karaté en 2022 – une rencontre entre karatékas, judokas et danseurs urbains –, a attiré plus de 2000 jeunes autour de Lyon, prouvant qu’il y a matière à innover.

La seule chose certaine, c’est que la disparition du karaté aux JO a réveillé une saine révolte créative. Les clubs développent des programmes mixtes, alliant karaté et self-défense, mise en scène et formation à la discipline. Certains créent des "karaté bootcamps" pour les vacances, expérience qui fait fureur auprès des adolescents lassés par le foot ou la natation. Les enseignants eux-mêmes s’interrogent : faut-il conserver une pratique puriste ou miser sur la modernité ? Les débats sont parfois animés, mais jamais stériles.

Il reste aussi l’espoir de voir émerger d’autres événements internationaux, comme les Jeux Mondiaux, où le karaté reste au programme, ou encore la Coupe du Monde de karaté. D’ici là, les jeunes Français continueront de fouler les tatamis avec la rage au ventre, bien décidés à prouver que le karaté a toute sa place, que ce soit aux Jeux ou ailleurs. Les puristes diront que "le karaté n’a pas besoin des Jeux pour exister". Mais franchement, qui ne rêve pas de brandir une médaille olympique pour son club, sa famille ou son quartier, quand on sait tout le travail qu’il faut pour y arriver ? Les lignes bougeront peut-être, surtout si la pression populaire suffit à réveiller les responsables du Comité olympique. En attendant, chaque séance d’entraînement, chaque compétition régionale devient une petite revanche symbolique sur cette grande déception – et ça, ça vaut bien toutes les médailles du monde.

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