Les clichés sur les arts martiaux ont la vie dure. Certains pensent au karaté comme à une danse énergique en kimono blanc, et voient le kung fu comme des acrobaties spectaculaires, façon vieux films de Jackie Chan. Pourtant, ces deux arts martiaux ne sont ni cousins, ni rivaux, ni identiques. Leurs mouvements, leur philosophie et leur histoire n’ont rien à voir. Certains enfants s’inscrivent au karaté en croyant apprendre à voler comme Bruce Lee… Grosse erreur. Moi-même, il m’est arrivé de confondre les deux au tout début, alors que Max, mon chien, me servait d’arbitre lors de mes maladroites tentatives de coup de pied dans le salon. Il n’a pas été impressionné.
On entend parfois dire que le karaté et le kung fu partagent les mêmes racines, mais la réalité est bien plus complexe. Le karaté est avant tout un art martial japonais, né à Okinawa au début du 20e siècle, sous l’influence des méthodes chinoises mais surtout d’une évolution locale. Avant même d’avoir un nom, le karaté se transmettait de génération en génération, loin des grandes lignes de l’histoire de la Chine. Il s’est développé dans un contexte d’interdiction des armes – les habitants d’Okinawa devaient donc apprendre à se défendre à mains nues. On associe souvent Gichin Funakoshi au développement moderne du karaté : il a popularisé le style « Shotokan » et présenté la discipline au Japon au début du siècle dernier.
Le kung fu, en revanche, arrive tout droit de Chine, mais il s’agit en vérité d’un terme générique. En chinois, « kung fu » désigne toute forme de maîtrise, que ce soit la cuisine, la calligraphie… ou l’art du combat. Les styles de kung fu sont légion : Wing Chun, Shaolin, Tai Chi Chuan, Hung Gar… chacun avec son histoire, ses secrets et ses légendes. On raconte même des histoires de moines Shaolin capables d’endurer des épreuves incroyables, comme casser des briques avec la paume ou rester des heures en position du cheval – sûrement une consolation pour tous ceux qui ont mal aux cuisses à la fin d’un bon entraînement. La plupart des styles populaires aujourd’hui remontent à plusieurs siècles, bien avant que la télévision ne les rende célèbres. Un fait amusant : la transmission du kung fu s’est longtemps faite dans les monastères, en secret. Les élèves devaient prouver leur loyauté pour apprendre le vrai savoir-faire. Rien à voir avec le club municipal du coin.
Côté philosophie, le karaté insiste beaucoup sur la discipline, la répétition, l’humilité et le respect de l’adversaire. Les dojos affichent souvent le « Dojo Kun » (un ensemble de principes moraux) que chaque élève récite en début et fin de séance. Le kung fu, quant à lui, mélange philosophie taoïste, inspiration bouddhiste et code guerrier. C’est moins axé sur le salut rigide, plus sur la recherche de l’équilibre entre le Yin et le Yang, l’harmonie du corps et de l’esprit. Le kung fu fait la part belle aux postures animales, à la respiration, à la fluidité, presque comme une danse… mais la frappe est là, rapide, précise.
Bon, place à l’action. Imaginez une séance type de karaté : positions basses, poings crispés au niveau de la taille, coudes rentrés, déplacements rectilignes, frappes sèches et directes. On force sur la rapidité, la puissance et le contrôle. Les katas, ces enchaînements codifiés, sont au coeur de l’apprentissage – chaque geste compte, chaque mouvement doit être millimétré. Les coups de poing (tsuki), de pied (geri), les blocages (uke)… tout est droit, efficace, épuré. Même les cris (kiaï) ont une fonction précise : concentrer la force, surprendre l’adversaire, évacuer le stress. Certains débutants trouvent les séances monotones… jusqu’au jour où ils se rendent compte qu’ils enchaînent quarante, cinquante coups de poing en une minute, sans même s’en rendre compte.
Le kung fu, lui, a la réputation d’être « poétique », mais il ne faut pas s’y tromper : c’est tout aussi exigeant. Mouvements circulaires, positions basses imitant des animaux, jeux de jambes complexes… Certaines techniques imitent la grue blanche, le tigre, le serpent ou la mante religieuse. Chaque style met l’accent sur ses propres mouvements, parfois explosifs, parfois fluides. On retrouve souvent des gestes amples, des déplacements latéraux, des sauts et des pirouettes. Mais il ne suffit pas de faire le beau : les coups sont portés avec une précision redoutable. Les maîtres de kung fu insistent sur la souplesse, la mobilité des hanches, le contrôle de la respiration. Même le Tai Chi Chuan (la forme lente) sert à apprendre à bouger avec économie et conscience – et si on pense que c’est juste une gymnastique douce pour seniors, on se trompe lourdement !
Là où le karaté concentre sa force dans la hanche et le bassin, le kung fu joue souvent sur le relâchement et l’explosivité. On m’a déjà dit qu’un karatéka attaque comme un marteau piqueur, alors qu’un pratiquant de kung fu frappe comme un fouet. Dans le karaté, les coudes restent près du corps, pour protéger l’axe central. En kung fu, les bras ont parfois du style : ils s’étendent, s’enroulent, feintent, frappent à distance. Les coups de pied du karaté sont hautement techniques, souvent simples et puissants. En kung fu, certains coups de pied partent à l’horizontale, d’autres s’enroulent façon ballet, et les plus avancés réussissent même à donner un coup derrière eux sans perdre l’équilibre. Pour l’avoir tenté moi-même, croyez-moi, c’est plus facile à la télé qu’en vrai !
Il existe aussi une différence dans la pratique de l’auto-défense. Le karaté insiste sur les frappes rapides pour mettre fin à un conflit rapidement, en se focalisant sur des zones vitales. Le kung fu, selon le style, insiste davantage sur l’esquive, le contrôle articulaire, l’utilisation de l’énergie de l’adversaire. Il n’est pas rare de voir des techniques de luxation, de projections, ou de manipulation des articulations. Certains styles de kung fu ont intégré l’utilisation d’armes traditionnelles – bâton, sabres, éventails – alors que le karaté moderne se concentre surtout sur le combat à mains nues, même si certaines écoles préservent encore le kobudo (armes d’Okinawa).
Le choix entre karaté ou kung fu ne se fait pas au hasard. Il suffit d’assister à un cours pour sentir la différence. Dans un dojo de karaté, on entre dans une atmosphère solennelle : tatami bien propre, salut traditionnel, rigueur presque militaire. Les grades (ceintures de couleur) rythment la progression, et le respect pour le maître (sensei) est central. L’entraînement commence souvent par un échauffement très structuré, suivi d’exercices spécifiques (kihon), de katas, puis de combats (kumite) selon le niveau. On se corrige mutuellement, et l’erreur n’est pas vue comme un échec, mais comme une étape obligatoire. Certains clubs mettent l’accent sur la compétition (combats et katas lors de championnats), d’autres privilégient le développement personnel, la maîtrise de soi et la santé sur le long terme.
Une salle de kung fu, c’est une ambiance différente, souvent plus décontractée mais non moins intense. On y entend parfois de la musique traditionnelle, le professeur (sifu) explique l’origine du mouvement, raconte une anecdote d’un vieux maître, et la sueur coule à flots. Beaucoup d’exercices se font à deux ou en petits groupes, en explorant les mouvements sous toutes les coutures. On passe des heures à « marcher en cheval », dos droit, cuisses en feu, ou à répéter un enchaînement jusqu’à l’épuisement. Certains professeurs incluent des exercices de Qi Gong (travail de l’énergie vitale), de la méditation et un travail approfondi sur la coordination. Ce n’est pas rare de finir la séance avec des exercices de frappe sur cible, des acrobaties pour développer la confiance en soi, ou même des techniques d’autodéfense contre saisies et étranglements.
Côté bienfaits physiques, la pratique régulière du karaté développe avant tout l’explosivité musculaire, le gainage, la rapidité de réaction et le mental. Un karatéka apprend surtout à se relever après chaque chute, à serrer les dents devant l’effort, et à trouver la paix dans la répétition. Le kung fu demande une souplesse incroyable : beaucoup d’exercices d’étirement, de travail sur la posture et sur le souffle. Mais on développe aussi une grande mobilité articulaire et une excellente coordination jambes-bras. Pour qui veut un corps souple et des réflexes aiguisés, c’est un excellent choix. Mon kiné ne cesse de le répéter : une bonne mobilité, c’est l’assurance d’éviter les blessures à long terme, surtout passé 40 ans, croyez-moi.
Un détail qui change tout au quotidien : la disponibilité des clubs et des professeurs. En France, le karaté reste plus accessible, avec des fédérations structurées, des centaines de dojos et une reconnaissance officielle. Le kung fu se développe, et de plus en plus de clubs sérieux ouvrent leurs portes, mais il faut parfois faire plus de kilomètres pour trouver un groupe fiable, surtout en-dehors des grandes villes. Avant de choisir, il ne faut pas hésiter à assister à une séance d’essai – et parler avec le professeur pour voir si la philosophie du club colle à vos envies et votre personnalité.
Petit conseil d’initiée : ne soyez pas impressionné par les démonstrations spectaculaires sur YouTube. Ce n’est pas en volant à trois mètres du sol que l’on devient un maître, mais en travaillant chaque jour, avec patience. Que l’on soit enfant, adolescent ou adulte, le plus difficile est de commencer – après, on y prend goût, et même Max (mon fidèle chien, toujours spectateur attentif) reconnaît le son du kimono qui claque sur le sol. Signe qu’il est temps d’aller s’entraîner… ou de sortir faire une longue balade pour se remettre des courbatures !
En fin de compte, le karaté et le kung fu ont chacun leur richesse, leur style et leurs valeurs. L’essentiel, c’est de trouver ce qui résonne avec vous – la rigueur et l’efficacité du karaté, ou la fluidité et la créativité du kung fu. Un seul mot d’ordre : bougez, essayez, et ouvrez-vous à l’expérience. Votre corps et votre esprit vous remercieront, croyez-moi.
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